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Korben, roi d’internet, logo bébé avec des lunettes en mode thug life

A propos des labs Hadopi…

Aujourd’hui, je vais me livrer à un exercice délicat afin de vous en dire un peu plus sur les labs Hadopi, leur rôle et ce que je pense de tout ça.

Historiquement, les labs ont été créés pour 2 raisons.

  • La raison officielle, c’est de permettre à chacun de venir y mettre son grain de sel afin d’apporter ses idées, de donner son avis sur Hadopi et tout ce qui gravite autour (filtrage, streaming, la culture et compagnie) et surtout de permettre à l’Hadopi de monter en compétence.
  • L’autre raison, c’est aussi de faire taire les opposants à la loi en leur disant : « Si tu n’es pas d’accord, viens t’exprimer, viens nous expliquer, nous t’écouterons« . Je reviendrai là-dessus plus tard.

L’objectif final étant (théoriquement) de faciliter la mise en œuvre de nouveaux services et modèles légaux autour des biens culturels numériques (musique, cinéma…). En clair : créer de la valeur pour les ayants-droit et répondre aux attentes des consommateurs que nous sommes.

Créé en mai 2011, il y a en tout 5 labs ayant pour thème :

  • Usages en ligne
  • Internet et sociétés
  • Économie numérique de la création
  • Réseaux et techniques
  • Propriété intellectuelle

Ces 5 labs sont dit indépendants et pilotés par 6 experts qui sont :

  • Christophe Alleaume
  • Paul Mathias
  • Cécile Méadel
  • Jean-Michel Planche
  • Nathalie Sonnac
  • Bruno Spiquel

L’Hadopi est venu en chercher certains, d’autres ont postulé et ont été retenus. À noter que tout travail mérite salaire et qu’ils perçoivent chacun une rémunération démarrant à 2000 € net par mois pour un job qui est loin d’être un temps plein. Enfin, je suppose puisque personne ne sait exactement le temps qu’ils passent chacun par mois à bosser pour l’Hadopi, ni les résultats attendus. Quant au reste des participants aux labs, ils sont soit des bénévoles, soit des contrats CDD. (Je ne sais pas s’il y a des CDI)

Alors qu’ont fait les labs en 2011 ? C’est une question qu’il est normal de se poser, et pour cela, j’ai été simplement voir le site qu’ils remplissent courageusement jour après jour sur leur site. J’ai fait super attention, mais s’il y a une correction à apporter, n’hésitez pas à m’en faire part.

En 8 mois, les labs ont donc « produit » :

  • 5 barcamp (sortes de soirées pyjamas ouvertes à tout le monde pour discuter d’un sujet précis)
  • 2 réunions (?? Ce chiffre m’étonne tellement que pense que tout n’a pas été noté sur le site)
  • 1 plan d’action par lab (« Que va-t-on faire cette année ? »)
  • 3 documents de travail à destination d’Hadopi. (1 livre vert sur les techniques de filtrage, 1 document sur le livre numérique et 1 document sur les spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation). Je ne compte pas le document sur l’encadrement du streaming qui est presque vide.
  • 45 petites news sur le blog (très diverses… ça va de la news tech classique à l’annonce d’événement culturel..etc.)
  • 2 sondages

Et depuis l’arrivée de Tris, 7 synthèses plutôt intéressantes réalisées principalement à partir de discussions Twitter des internautes. (Bravo Tris !)

  • 1 synthèse des freins au développement de la VOD
  • 1 synthèse sur les plateformes de jeux vidéo
  • 1 synthèse sur la licence globale et la copie privée
  • 1 synthèse sur les paroles de chanson et l’offre légale
  • 1 synthèse sur l’auto-production
  • 1 synthèse sur les types de cadeaux des fêtes de fin d’années (afin de déterminer la part de produits culturels)
  • 1 synthèse sur la musique en ligne

À noter qu’ils ont aussi assisté à quelques conférences en rapport avec leur domaine.

J’ai lu la plupart des documents. Certaines choses sont l’œuvre délirante d’une seule personne qui se tape un bon délire philosophique, d’autres choses sont des comptes rendus assez courts de ce qui a été dit pendant les réunions/barcamp, et d’autres sont vraiment des documents de synthèse plutôt bons à destination de la Haute Autorité et de nos dirigeants afin qu’ils aient les billes pour ne pas partir dans tous les sens.

Les labs Hadopi se réunissent, font un picnic saucisson-vin-rouge, se font des twitpic, pondent un document de synthèse rempli d’évidences (en tout cas, pour les gens qui s’intéressent au sujet depuis quelque temps) et voilà.

En 8 mois, à minimum 10/12 personnes, ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça. Alors, oui, c’est intéressant. Oui, les gens qui travaillent dans les labs sont très compétents dans leur domaine, et oui, tout ce qui a été écrit sont des synthèses d’idées et de constats déjà formulées (y’a pas de mal à ça) par de nombreux « autres » depuis plusieurs années, et qu’il serait bon que les politiques et les ayants droit consultent.

Mais maintenant, la vraie question, c’est : Qui ça intéresse tout ça ?

Si leur avis avait été demandé avant la promulgation de la riposte graduée, je ne dis pas… Mais là, c’est un peu comme le Conseil National du Numérique. Ils sont là pour justifier un truc sur lequel ils n’ont aucune emprise. Le truc « amusant » avec certains de ces experts Labs tel que Bruno Spiquel ou Jean-Michel Planche, c’est qu’ils sont soi-disant anti Hadopi. C’est en tout cas comme cela qu’ils se définissent.

Sur le fond, nous avons (apparemment) tous les mêmes idées sur le filtrage d’Internet, sur l’Hadopi, sur les risques de censure et même sur notre dépendance dangereuse vis-à-vis de grosses sociétés comme Google ou Facebook qui ont la main mise sur nos données…etc.

Alors pourquoi se sont-ils lancés là dedans ?

  • Pour la thune ? Certains gagnent déjà bien leur vie et je ne pense pas qu’ils aient besoin de 2K€ supplémentaires par mois (M’enfin, c’est la crise pour tout le monde, ma bonne dame…).
  • Pour s’occuper ? Possible… Ça change des soirées salade de riz devant la Nouvelle Star avec bobonne et en attendant la retraite, ça permet de garder l’esprit vif en évitant d’acheter une méthode d’entrainement cérébral 🙂

Mais pour moi, les vraies raisons sont les suivantes :

  1. Ils y croient. Oui, ils pensent qu’ils peuvent hacker l’Hadopi de l’intérieur. C’est-à-dire changer les choses et ainsi éviter la catastrophe. En mai dernier, à la création des labs, je me suis dit : « on va attendre, ils vont peut-être arriver à faire quelque chose de concret… » Mais lenteurs habituelles des administrations, ou découragement en cours de route, force est de constater qu’à part quelques beaux documents, il n’y a pas eu vraiment d’action en 8 mois. Je suis sûr qu’ils sont très écoutés en interne à Hadopi avec hochement de tête et tout et tout, mais qu’une fois sorti de ce cadre, plus personne n’écoute. Quand on demande aux experts des labs ce qu’ils font concrètement, on obtient des réponses sarcastiques du genre : « Tsss, on bosse très fort, on agit dans l’ombre, en interne, on est utile, si si, vraiment, on vous assure, on avance grâââââve ! « . Là-dessus, 2 possibilités. Soit c’est vrai, soit c’est du bullshit. Pour le moment, je n’ai rien vu en 8 mois, mais laissons-leur encore un peu de temps… (La vraie question, c’est jusqu’à quand ?)
  2. Ils vont nous sauver. Oui, nous pauvres internautes débiles, amateurs de vidéos de chat, de skyblogs… nous qui confions nos vies à Google et qui ne connaissons même pas par coeur la RFC 791 ni les subtilités du métier de presseur de CD. Les experts Hadopi sont là pour nous sauver nous et notre internet, investis d’une mission divine, car sans eux Hadopi, aujourd’hui, ce serait pire. Nous en serions déjà au DPI, et le filtrage serait déjà effectif et fait n’importe comment. Nous devons donc remercier ces gens éclairés pour notre salut, même si nous n’y comprenons rien parce qu’on est trop con.
  3. Ils sont sensibles. Sensibles à l’estime de ceux qui nous gouvernent, et aux petits mots doux. En effet, quoi de plus flatteur que le gouvernement qui vient vous voir en vous disant : « On sait qu’Hadopi c’est de la merde. La France a besoin de vous. Vous êtes les hommes et les femmes de la situation. ». Mieux, on les écoute vraiment (sans bailler), leur avis compte (même si ça ne va pas chercher plus loin), ils en tapent 5 aux puissants, roulent des mécaniques et sont un maillon de la chaine présenté publiquement comme « important. ». C’est totalement génial, hyper flatteur et je connais peu de monde qui résisterait à ce genre de charme façon persiffleur

Je sais, je suis à ranger dans la catégorie des vilains-méchants-terroristes-taliban-pédonazis qui ne veulent pas ouvrir les yeux et entrer dans le droit chemin pour construire un monde plus juste, mais, en ce qui me concerne, il y a plusieurs raisons qui à la fois m’énervent et me font éprouver de la peine (sincère) pour tous ces gens qui participent à ces labs.

Tout d’abord, comme je le disais, ce sont des gens intelligents et très compétents (enfin, pour ceux que je connais de réputation). Techniquement, ils en savent 10 000 fois plus que moi, ils ont beaucoup plus de bouteille, ils sont reconnus par leurs pairs, et pour certains, ils ont monté leur boite sur le net alors que je tétai encore ma mère…etc. Là-dessus, rien à dire.

Ils ne sont pas tous méchants, au contraire, certains sont même fort sympathiques. En plus, on fait le même job, à savoir twitter des conneries et bloguer toute la journée :-))). (A la différence près que je ne prends pas de cash pour m’impliquer et défendre une initiative politique). Et pourtant, j’ai le sentiment qu’ils se font manipuler.

Depuis 5 ans, j’ai pu le constater par moi-même, la méthode d’action des politiques pour faire accepter quelque chose dans pas mal de domaines est la suivante :

  1. On propose un truc absolument dégueulasse.
  2. Tout le monde gueule (les opposants).
  3. On stoppe tout et on leur tend une main en les mettant dans une espèce de placard où on leur fait croire qu’ils sont indépendants et que leur avis compte.
  4. La protestation se fait plus faible. (Normal, ils bossent…)
  5. Et on reprend notre truc dégueulasse, mais en arrondissant les angles pour que ça passe.

Par exemple, toutes ces bouffes organisées par Nicolas Sarkozy et Eric Besson avec des entrepreneurs et un paquet de blogueurs (slurp!) qui ont débouchées sur 2 choses : l’eG8 et du vent. Autre exemple, celui de la création du Conseil National du Numérique à qui le gouvernement est censé se référer pour les questions internet, et qui dans la réalité n’est pas questionné ni écouté…etc., etc.

Je ne comprends pas comment en se faisant rouler dans la farine 1 fois, 2 fois, 3 fois…etc., il est possible de re-signer pour un tour supplémentaire et avec le sourire s’il vous plait.

Pour moi, les labs, c’est pareil. Juste un bon moyen de faire croire que le peuple d’Internet est écouté, retourner (facilement) quelques opposants à Hadopi avec de la lèche, et faire taire ceux qui gueulent en leur disant : « Bah si tu as un avis, viens le donner, nous sommes ouverts« .

Diriger la voix de ceux qui protestent, vers le néant, c’est ce qu’ils savent faire de mieux.
Je suis anti-filtrage, anti-censure et anti-mouchard purement et simplement. Pas de demi-mesure, pas de « oui, mais… ». Les membres de l’Hadopi, eux sont pour un filtrage (qu’ils veulent intelligent, mesuré, maitrisé par l’internaute, mais un filtrage quand même).

Leurs arguments pro-filtrage restent encore et toujours les même :

  • Empêcher que nos enfants tombent sur du porno (ou pédo-porno)
  • Empêcher que nos enfants téléchargent illégalement
  • Empêcher que nos enfants tombent sur des sites peu fréquentables (nazi, terroristes…etc.)

Mes arguments anti-filtrage sont plutôt :

  • C’est contournable facilement, mais en faisant une loi, ce contournement pourra (bientôt?) être rendu illégal. (Interdiction de TOR ? des VPN ?)
  • Ce n’est pas ça qui sauvera les artistes et qui empêchera le partage illégal (et massif) de fichiers.
  • C’est un cheval de Troie qui permettra dans un second temps aux États d’imposer leurs lois liberticides et leur censure sur le net
  • C’est un risque immense pour nos libertés d’accès à l’information et d’expression. Qui surveillera les surveillants ? Qui raisonnera les censeurs ?

Le risque est trop grand pour que ça en vaille la peine. Et on ne peut pas attendre que les politiques le comprennent, ils sera déjà trop tard. Il faut leur dire « Non » maintenant et basta.

Alors, en écoutant les experts des labs, la raison pour laquelle ils participent à cette mascarade et qui revient sans cesse sur le tapis, c’est d’éviter que la haute autorité ne fasse n’importe quoi…

Ok, mais en attendant, ils bossent sur des spécifications techniques pour le compte de l’Hadopi et aident Hadopi à monter en compétence. Cette collaboration Hadopi / les Labs c’est un chemin tracé vers à la mise en place de l’infrastructure technique (filtrage, DPI…Etc), des process de blocage des sites, ainsi que le mouchard que veulent les politiques pour reprendre le contrôle du net. Tout le côté « sauvons les artistes » est du pur bullshit. Rien n’a été fait pour les artistes et pour les consommateurs. ça n’a rien changé pour la culture. (Amis artistes, amis lecteurs-consommateus de services musicaux et cinématrographiques, dites moi si Hadopi a changé quelque chose pour vous ? Un détail m’a peut-être échappé.)

Comme les experts des labs, je pense que le piratage c’est pas cool pour les artistes, mais pour moi, le seul moyen de le combattre, c’est que l’offre légale soit plus compétitive que l’offre illégale (grosso modo, hein… je me suis déjà étendu de manière plus détaillée sur le sujet et cela à plusieurs reprises).

Et au lieu de bosser sérieusement là dessus et d’aider les plateformes à sortir la tête de l’eau (à cause par exemple de la SACEM qui abuse largement) et en testant des choses pour voir si ça marche (genre la licence globale pour les internautes ou la licence légale audiovisuelle adaptée aux webradios et jukebox en ligne pour que les entrepreneurs ne payent plus des millions aux majors avant d’avoir engrangé le moindre euro de pub ou d’abonnement… je ne sais pas si ça peut marcher, mais comment saura-t-on si on n’essaye pas.), ils prennent le problème complétement à l’envers en fournissant à l’Hadopi toutes les billes techniques afin que celle-ci puisse mettre en place le filtrage et la censure, sans tomber sur les écueils techniques.
Quand on regarde ce qui s’est passé avec SOPA aux Etats Unis, c’est l’opposé de ce que nous faisons en France. Aux Etats-Unis, les sociétés et les gens ont protesté très très vivement contre SOPA. D’ailleurs, aux Etats-Unis, les sociétés soutenant SOPA de près ou de loin ont eu le droit à un boycott digne de ce nom.

Résultat : Rétropédalage de SOPA.

Et si on osait faire la même chose avec les sociétés qui soutiennent Hadopi, Loppsi…etc et celles des experts en tous genres qui bossent pour servir ces lois débiles et liberticides ?

Non, en France, on écoute les paroles mielleuses du gouvernement qui nous dit qu’on est beau et qu’il faut les aider pour un monde plus juste et comme on est con, on les aide à concevoir la censure de demain.

Ma vision est plus simple (simpliste même, disent certains pro-filtrage) : Si le gouvernement veut mettre en place un filtrage, une censure, qu’il se démerde. Nous notre rôle (français, internautes, sociétés), c’est purement et simplement de les combattre et de protester… Pas de les aider en leur donnant des billes comme le font les experts des Labs.

Participer à l’Hadopi est purement et simplement une trahison des valeurs que nous avons tous (labs et pas labs). Prendre son opposant par la main, et lui expliquer gentiment comment se défendre et faire correctement les choses, c’est juste une belle connerie. Ça ne se fait pas… Question de principe.

Après, je sais que c’est un débat sans fin et que seul le temps nous dira qui a eu raison… Continuons chacun dans nos rôles de troll et de détenteur de la vérité divine, et on verra bien si au final, l’Internet français s’en sort vivant.

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