L'outrage en ligne - Une nouvelle connerie qui menace notre liberté d'expression

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L'outrage en ligne - Une nouvelle connerie qui menace notre liberté d'expression

par Korben -

Tremblez, chers lecteurs, Big Brother arrive et il n’a pas le sens de l’humour !

Figurez-vous que nos honorables députés s’apprêtent, le 10 avril prochain, à adopter définitivement une loi qui risque de transformer le web français en cimetière de la liberté d’expression. Le projet de loi “visant à sécuriser et réguler l’espace numérique”, aussi rassurant que le sourire d’un crocodile, nous promet en effet une toute nouvelle terreur juridique : le délit de, je cite, “outrage en ligne”.

Ainsi, si jamais vous osez publier un contenu créant une “situation intimidante, hostile ou offensante” envers un quidam (mais surtout envers une personne de pouvoir, j’imagine), vous voilà bon pour un an de vacances à l’ombre et 3750 euros d’amende ! Et quand on vous dit “en ligne”, c’est large : réseaux sociaux, forums, et même les groupes WhatsApp privés, tout y passe ! À ce tarif, autant fermer Twitter.

Par contre, pas de panique si vos propos relèvent déjà d’infractions comme le harcèlement, les menaces ou les injures raciales. Ce nouveau délit exclut bizarrement ces cas-là… Cherchez l’erreur.

À l’origine de ce chef-d’œuvre, on retrouve donc notre champion Loïc Hervé, sénateur centriste autoproclamé grand pourfendeur du cyberharcèlement.

mdrrrrr…. il a l’air de kiffer Wikipédia en tout cas.

Et son idée géniale c’est de s’inspirer de l’outrage sexiste, déjà en vigueur, mais en retirant allègrement le côté sexuel. Résultat, un propos isolé un peu taquin ou un trait d’humour acide pourra vous valoir de goûter au régime des prisons françaises. Vive la proportionnalité et la bouffe de merde !

Mais le pire, c’est que la notion d’outrage en ligne est tellement vague et subjective qu’elle pourrait s’appliquer à peu près à tout et n’importe quoi. Et “Situation intimidante, hostile ou offensante”, ça vous parle ? Non ?

Normal, c’est du grand n’importe quoi juridique, comme le soulignent les avocats Tewfik Bouzenoune et Arié Alimi. Ce dernier qualifie d’ailleurs cette loi de “nouvel outil extrêmement lourd de restriction de la liberté d’expression”.

Et pour couronner le tout, sachez que les flics pourront vous mettre direct une prune de 300 euros, façon amende forfaitaire, sans passer par la case tribunal. La team Police / Politique de Twitter va kiffer. Plus besoin d’aller chouiner dans les jupes d’Elon dès qu’ils sont vexés. Un petit signalement et hop !

Super pratique pour embastiller les emmerdeurs sans s’embarrasser de la présomption d’innocence. La Défenseure des droits elle-même, Claire Hédon, s’alarme de ce “pouvoir considérable” confié aux forces de l’ordre et des risques “d’arbitraire” et “d’erreurs”. Mais bon, comme dit Robert, “pas vu, pas pris” !

Le plus savoureux dans tout ça ?

C’est que les députés avaient déjà courageusement supprimé ce délit liberticide lors de l’examen du texte. Mais c’était sans compter sur les sénateurs qui l’ont réintroduit en force en Commission mixte paritaire tel un zombie législatif. Internet, ça leur fait tellement peur ^^, faut les comprendre.

Alors oui, certains diront qu’il faut bien lutter contre les trolls et autres harceleurs du web. C’est certain, mais fallait-il vraiment pour cela pondre un texte aussi mal fichu et potentiellement ravageur pour la liberté d’expression ? Fallait-il sacrifier notre liberté de ton, notre droit à l’humour même acide ? J’ai comme un doute.

Toutefois, une petite lueur d’espoir subsiste : le Conseil constitutionnel pourrait bien censurer cet article 5 bis mal embouché, et ce pour deux raisons. D’abord parce qu’il porte une atteinte disproportionnée à notre droit fondamental de dire ce qu’on pense. Ensuite parce que ces fameuses “amendes forfaitaires” sont normalement réservées aux délits “aisément constatables”. Autant dire qu’avec une infraction aussi nébuleuse et piégeuse, ça risque de coincer sévère.

En attendant, si ce texte indigne devait entrer en vigueur en l’état, je vous parie que l’autocensure deviendra la règle sur les réseaux sociaux français. Plus personne n’osera égratigner le moindre puissant de peur de finir au trou. Formidable victoire de la liberté sur l’obscurantisme, n’est-ce pas ?

Merci en tout cas à Mediapart pour son article et espérons que cela contribuera à faire reculer nos élus avant qu’il ne soit trop tard. La démocratie s’accommode toujours très mal de ce genre de lois scélérates même quand elles sont maquillées en croisade vertueuse.