Bloquer des gens sur les réseaux sociaux a-t-il un impact sur la bulle de filtre ?

par Korben -

Il y a quelques semaines, j’ai écrit un article où je mettais en avant un outil permettant de se protéger des gens mauvais présents sur les réseaux sociaux. Il n’y a malheureusement pas de solution miracle à ce problème et la seule “protection” possible consiste tout simplement à bloquer le haineux.

Et en général, ce genre de post suscite 3 types de réactions sur lesquelles je trouve qu’il est intéressant de revenir.

La première réaction c’est :

“Cool, ça va me servir ou ça va servir à insérer ici pseudo de quelqu’un qui se fait harceler en ligne

Alors oui, ça sert à cacher la merde et éviter de moins déprimer. Mais même si l’outil est sympa, ça ne permet pas de réellement stopper des vagues de harcèlement ou de haine.

Je ne sais d’ailleurs pas si cela est vraiment stoppable. À mon sens, la seule option est de miser sur le manque de courage des assaillants en portant plainte contre eux de manière systématique tout en espérant qu’ils se passent le mot et changent de victime. C’est un peu utopiste malheureusement, donc oui ça soulage, mais ça ne guérit pas.

Et à ce problème, je n’ai malheureusement pas de solution, tant certaines personnes haineuses sont tous simplement perdues humainement.

La réaction n°2 c’est :

“C’est de la merde, car on se fait bloquer dès qu’on est en contradiction”

Il est évident que lorsqu’un point de vue contradictoire est exposé sans agressivité, une discussion peut s’engager, et il faudrait être quelqu’un d’immature pour bloquer une personne simplement pour avoir exprimé un point de vue contraire.

En creusant un peu le sujet, je me suis rendu compte surtout que les fameux “contradicteurs” qui sortaient cet argument face à des outils de blocage comme ceux que je présente s’étaient déjà fait bloquer à gauche et à droite par d’autres internautes. On peut alors se demander pourquoi, puisqu’ils semblent dire qu’ils expriment “simplement” un point de vue différent.

Et bien dans une majorité de situations, c’est parce que ces contradicteurs ne savent pas correctement exprimer leur point de vue. Ils s’éloignent très rapidement de la nétiquette, devenant désagréables et dans certains cas menaçants ou insultants. Ils ne leur est pas possible d’exprimer leur point de vue de manière civilisée, avec des arguments, en totale détente sans chercher à faire changer d’avis l’autre.

Au contraire, ils pensent qu’il est de leur devoir de faire changer d’avis l’internaute en face d’eux et ne pas y parvenir les frustre profondément. Finalement tout le monde se braque et cela se termine généralement en combat de noms d’oiseaux.

Alors que pour faire changer d’avis quelqu’un, il n’y a pas 36 solutions : il faut lui permettre d’élargir son horizon avec plus de données pour qu’il puisse de lui-même changer d’opinion. Selon moi, la véritable contradiction, c’est apporter des éléments qui permettront à l’autre de faire son propre chemin de réflexion… et éventuellement de modifier sa façon d’agir ou de penser.

Après il faut reconnaître que les réseaux sociaux ne sont pas conçus pour cela. Tout doit être résumé et immédiat. Et comme les échanges sont majoritairement publics, c’est plus une démonstration de force des 2 côtés que la mise à contribution de l’intelligence des personnes qui échangent.

Donc une fois encore, je ne pense pas que ce soit la contradiction qui mène au blocage, mais simplement l’agressivité ou le fait de tourner en boucle en voulant écraser l’autre avec son opinion. Le “en boucle” est important ici, car c’est en voulant forcer l’autre par tous les moyens à accepter un point de vue, que parfois la situation tourne au harcèlement. Et ça, c’est moche et punissable par la loi.

Quand vous êtes en contradiction avec quelqu’un sur les réseaux sociaux, expliquez-lui votre point de vue de manière intelligente et argumentée, apportez-lui des éléments de réflexion, répondez à ses questions. Et si rien ne se passe, passez à autre chose, mais ne faites pas le forceur, vous n’avez plus 5 ans.

Enfin, la dernière réaction est celle qui m’amuse le plus :

“Oui en bloquant, tu t’enfermes dans une bulle de filtre”

On est ici dans le cas typique de la phrase toute faite. Ceux qui me rétorquent ça n’ont pas compris ce qu’était une bulle de filtre. Et du coup, je trouve ça intéressant à expliquer parce qu’effectivement, les bulles de filtre sont hyper problématiques.

Au même titre que la modération est différente de la censure, le fait de bloquer des gens nocifs n’a rien à voir avec la notion de bulle de filtre et je vous explique pourquoi.

Le terme “bulle de filtre” fait référence aux personnes qui se retrouvent emprisonnées dans un flux d’informations personnalisé en fonction de leurs centres d’intérêt. Couplé au concept de chambre d’écho des médias, cela fait des ravages, car on ne s’en rend pas vraiment compte.

Ainsi, les informations qui nous parviennent de la part des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Instagram, ou encore de moteurs de recherche comme celui de Google ou de YouTube sont filtrés pour nous convenir. Ainsi nous passons plus de temps sur leurs pages, et nous sommes plus impliqués à la lecture de ces contenus ciblés en fonction de nos centres d’intérêt, de nos goûts, de nos opinions politiques et j’en passe.

Le problème, c’est que cela nous isole intellectuellement. On est conforté dans nos opinions, on absorbe des informations qui restent dans notre zone de confort et on échange avec des gens comme nous. Le reste de l’Humanité avec ses opinions et ses informations “hors du cadre” ne nous apparait plus sauf relâchement de l’algorithme. Et le danger, c’est qu’on finit par croire que la majorité des gens pensent comme nous.

Et oui, car ce sont bien les algorithmes ici qui sont les ennemis de la découverte spontanée. Tout ce que vous lisez au travers des réseaux sociaux est filtré. Donc, utiliser un réseau social, c’est déjà accepter d’être dans une bulle de filtre.


Maintenant la différence entre bloquer des gens nocifs sur Internet et s’enfermer dans une bulle de filtre est simple à comprendre.

La bulle de filtre EST le réseau social. C’est le profil que le réseau social fait de nous et ce que son algorithme nous propose en contenu qui forge cette bulle de filtre. Être anti bulles de filtre et être sur Twitter n’est pas compatible.

Bloquer des gens parce qu’ils sont haineux, ce n’est pas s’isoler du monde extérieur, ce n’est pas refuser les opinions contradictoires et ce n’est pas se priver d’information.

C’est tout simplement ne pas se laisser souiller par la diarrhée mentale des autres. Ça ne va pas chercher plus loin.

On pourrait se dire qu’on peut lutter contre la bulle de filtre en suivant des gens qui ne pensent pas comme nous, en lisant des médias qui propagent des idées contraires à nos valeurs, ou en s’intéressant à des sujets qui ne nous intéressent pas naturellement… Après tout, ça fait grandir intellectuellement de s’ouvrir l’esprit aux autres. C’est vrai.

Mais en réalité, même si ça part d’une bonne intention, en faisant ça, vous ne faites que modifier le profil que le réseau social fait de vous. Au mieux vous agrandissez un peu la bulle dans laquelle vous évoluez. Mais vous ne la traversez pas ou vous n’évoluez pas en dehors.


Maintenant accepter que n’importe quelle âme perdue vous agresse ou vous force à adopter son opinion sous ce faux prétexte de ne pas se retrouver enfermé dans une bulle de filtre est totalement ridicule. Vous n’élargissez pas votre esprit en lisant la haine de l’autre ou en subissant la volonté d’imposer ou d’écraser l’autre avec son opinion. À part vous faire du mal et vous fragiliser intérieurement, cela ne sert à rien.

On a tous besoin d’être protégés. Non pas des opinions contraires aux nôtres. Mais simplement des gens mauvais, des intolérants, des violents, de ceux qui imposent, qui écrasent, qui harcèlent, jugent et condamnent. Et actuellement, mis à part bloquer ces personnes pour qu’elles sortent de notre champ de vision, il n’y pas d’autres options malheureusement.

Et même si par un pur hasard cosmique, le fait de bloquer des gens toxiques avait une incidence sur la bulle de filtre dans laquelle on est prisonnier, il faudrait en bloquer ÉNORMÉMENT avant que cela ait vraiment un impact. Rayer de sa vie numérique 50, 100, 200 ou encore 10 000 rageux ne restera qu’une goutte d’eau dans l’océan des opinions contradictoires et des sujets hors de notre bulle de filtre.

Il y a tellement de diversité humaine sur les réseaux que l’impact du blocage serait nul. Mais finalement la question ne se pose pas, car une fois encore, ce sont les algorithmes des réseaux sociaux qui vous mettront dans cette bulle.

Et n’y voyez rien de magique. C’est vous qui nourrissez l’algo grâce aux profils que vous suivez, aux likes que vous faites, aux sites que vous visitez, aux mots que vous employez dans vos écrits…. Et on ne peut rien faire contre ça. Encore une fois, le réseau social EST la bulle de filtre. Il faut l’accepter.

Ou pas.

Et si vous ne l’acceptez pas, il est possible dans sortir, mais ce n’est pas facile.

Comment sortir d’une bulle de filtre ?

C’est super difficile, mais pas impossible. Comme les bulles se forment en fonction de votre profil, cela passe par 3 étapes :

1/ Bloquer le profilage

Chaque fois que vous visitez une page web sur internet, votre navigateur révèle plusieurs informations au site que vous visitez. Les sites peuvent vous suivre sur le web en créant un identifiant unique à partir de l’empreinte digitale de votre navigateur. L’empreinte digitale d’un navigateur est une collection de données qui peut inclure votre IP, le type de navigateur, la résolution d’écran…etc. Pour empêcher ce profilage, il existe une extension pour Firefox qui s’appelle Chameleon et qui est capable de brouiller les pistes.

Vous pouvez également surfer en mode navigation privée quand vous souhaitez vous informer pour éviter justement la conservation des cookies.

2/ Prendre conscience des bulles de filtre

Dès que vous avez un compte chez Google, Facebook, Twitter…etc., tous vos comportements sont scrutés pour déterminer une image fiable de votre personnalité.

A partir du moment où vous vous intéressez à certaines thématiques et que vous suivez certaines personnes que vous aimez, vous serez déjà dans une bulle de filtre. Toutefois il est possible sur certains réseaux sociaux de modifier quelques paramètres.

Par exemple sur Twitter, vous pouvez changer l’affichage des tendances pour qu’il ne soit plus généré en fonction de qui vous êtes, mais plutôt en fonction d’une zone géographique.

Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça.

Après une fois encore, en ce qui concerne les réseaux sociaux, à partir du moment où vous avez un compte chez eux, le contenu qui vous sera proposé sera le contenu que l’algo décide de vous proposer. Vous pouvez le guider un peu ou le faire évoluer, mais il ne vous fera pas sortir de votre zone de confort intellectuel, malheureusement.

3/ S’ouvrir à autre chose

Après sortir de sa zone de confort ou de sa bulle de filtre, c’est faire un effort. Un effort d’intelligence et d’ouverture. Cela signifie s’intéresser et essayer des choses nouvelles, aller vers des personnes différentes, lire des livres sur des thèmes très variés, et essayer de creuser les sujets pour comprendre les opinions des uns et des autres.

Spécifiquement dans le cas des réseaux sociaux, même si je pense à titre personnel que ça reste peine perdue, vous pouvez quand même tenter de créer des interactions (like, commentaires, clics, follow…etc.) sur des sujets qui ne vous passionnent pas forcement. L’idée étant de dire à l’algorithme : “Tu vois je m’intéresse à tout un tas de choses différentes donc à toi de me montrer un éventail plus large de contenus”. Mais une fois encore, en faisant ça, vous élargissez votre bulle, mais vous n’en sortez pas.

Vous pouvez également vous amuser à suivre des comptes randoms ou des comptes avec qui vous n’avez pas spécialement de points communs. Juste comme ça pour la découverte. Ce sera fun de voir sur quelles thématiques ils vous emmènent et quelles opinions ils exposent, mais une fois encore, vous indiquerez simplement à l’algo que votre “profil” évolue.

Ça reste quand même l’un des meilleurs moyens de sortir de la chambre d’écho dans laquelle vous êtes. Je pense par exemple aux médias nationaux qui tournent en boucle avec les mêmes sujets… Si vous commencez à lire la presse étrangère, aussi bien des médias grand public que des médias indépendants et plus petits, vous aurez plus de billes pour vous forger une véritable opinion, qu’en regardant uniquement BFM ou Cnews.

Aussi, quand vous créez un profil sur un site ou une application, on vous demande parfois votre âge, votre pays et vos centres d’intérêt. Tentez la nouveauté en mettant des choses au hasard… Vous aurez ainsi du contenu qui sera ciblé pour un profil qui n’est pas le vôtre et ça risque d’être passionnant.

Rien de miraculeux dans ces conseils, j’en conviens, mais seules votre curiosité et votre ouverture d’esprit vous sauvera.

Conclusion

Je pense avoir fait un bon tour de la question, mais une fois encore, si vous avez des compléments à apporter, n’hésitez pas. Comme vous l’aurez compris, bloquer les rageux sur Twitter ne fait pas de vous quelqu’un qui s’enferme. Ça fait juste de vous quelqu’un de normal qui n’a pas envie de se faire agresser par des inconnus, le plus souvent stupides, il faut bien le reconnaitre.

Maintenant si les propos sont courtois, mais qu’il vont à l’encontre de vos croyances personnelles, prenez le temps d’essayer de comprendre les points de vue. N’essayez pas de contre argumenter, mais soyez plutôt dans le questionnement. Allez jusqu’au bout des choses.

En détricotant la réflexion de l’autre avec des questions, vous saurez si cette critique est constructive, si elle mérite d’être prise en compte, et vous verrez d’autres chemins de pensée s’ouvrir à vous pour vous améliorer.

Et ça c’est un vrai cadeau, alors prenez-le comme tel.